lundi 4 août 2008

Seuls, de et avec Wajdi Mouawad


La pièce débute. Elle ressemble à de nombreuses autres pièces : un homme, seul sur scène, parle de sa vie. Il va et vient sans se presser dans sa chambre d'étudiant. Lenteur, répétitivité des gestes quotidiens. Coups de téléphone avec son père, sa soeur. Incompréhension, tensions familiales. Grisaille, désespoir larvé.Plus tard, au fil du monologue, quelque chose émerge. Surgi exactement de l'intérieur du bonhomme. Une énergie - celle du désespoir, probablement - jaillit, et l'atmosphère sur scène se densifie sous nos yeux. Pour nous, bien calés dans nos fauteuils, l'air devient palpable, nous enveloppe et se met à nous serrer jusqu'au coeur. Surtout que l'homme en scène a du corps. Un corps densifié, lui aussi.Bien plus tard, cet homme sur la scène nous apparaîtra comme un naufragé sur son radeau. Cela fait bientôt deux heures qu'il se bat contre les éléments déchaînés de sa vie. Et voilà qu'il les transforme en couleurs - il y a beaucoup de rouge, soudain -. Il jette les couleurs sur les pans de sa vie auxquels il se heurtait, il se blessait au début de la pièce. Les couleurs, il les lance avec son désespoir transmué en énergie pure. Le naufrage dure un temps infini.Alors nous, spectateurs, devenons l'océan autour du naufragé. Chacun de nous est une vague. Nous portons le radeau, nous portons le naufragé avec notre souffle, nos yeux, nos mains serrées fort sur nos genoux. Tant que nous serons là, le radeau ne coulera pas.Enfin, dans un geste ultime, sacré, l'homme crève la couleur. Orage éclaté au bout des heures lourdes de l'été. Tombera la pluie. Elle sera diluvienne, mais apaisante.Plus tard, peut-être. Bien plus tard.
Hélène Perret

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