lundi 4 août 2008

Kiwi, de Daniel Danis - Montréal, Québec




Les enfants des rues : Bogota ? Rio ? Ailleurs ? Tout commence comme commencerait un documentaire : il y a deux écrans sur la scène, qui seront d'un bout à l'autre occupés par des images noir et blanc. Bientôt dans les images pré-filmées s'en glissent d'autres, toujours dans un magnifique noir et blanc ; et l'on s'aperçoit que les deux acteurs sont ici, près de nous, dans la pénombre de la scène. Ils bougent doucement, ils parlent, ils respirent : surprise ! De minuscules projecteurs et de minuscules caméras en prélèvent l'image – double image, donc, projetée et vivante, terriblement vivante. Et le mixage, image et son, se fait pour nous en direct, quelque part dans la salle. Dans l'histoire, la jeune fille a 14 ans, et lui à peine plus ; et dès ce surnom de Kiwi, on se douterait presque qu'on est dans un conte – un conte initiatique – mais il reste à le vérifier. « Tu verras, on s'en sortira... » C'est donc une histoire de tendresse. Et qui pourrait très mal finir, comme toutes celles où l'on n'a qu'espoir en poche. Il faudra passer par la porte étroite, terriblement étroite de l'extrême misère : vol, prostitution, drogue, meurtre... La fin est heureuse, ce qui permettra l'accès de la pièce aux adolescents. Mais on se prend à se demander ce qui manquerait au propos si, inversement, tout se terminait mal : la force du conte est telle qu'elle survole de très haut (pour l'adulte, du moins) la signification du happy end. Ni cinéma, ni déclamation pure, KIWI, c'est du spectacle vivant, avec les techniques les plus aiguës disponibles aujourd'hui. Cadrages et tempo de bande dessinée, qu'on parcourt comme on tourne les pages, de planche en planche. Une maîtrise parfaite des équilibres : bravo, rien à redire, admirons. La salle (comble), à la fin, reste vissée sur ses sièges, dix minutes à aplaudir doucement, la gorge nouée. Que faire d'autre ? C'est si beau !

Jean-Marie Perret

Kiwi, de Daniel Danis • Théâtre-film destiné au public à partir de 13 ans • Compagnie Daniel-Danis-Artssciences • Montréal • Avec : Marie Delhaye et Baptiste Amann • Vidéaste, montage et traitement des images préfilmées : Cécile Babiole • Composition, musicien électroacoustique : Jean-Michel Dumas • Chef opérateur : Stéphane Nota • Auteur des images documentaires et vidéo d’art : Benoît Dervaux • Régie générale et vidéo : Emmanuel Debriffe • Compositeur et régie son : Jean-Michel Dumas • Photos : Krista Boggs • Texte édité à L’Arche en octobre 2007 • La Manufacture, Avignon

Seuls, de et avec Wajdi Mouawad


La pièce débute. Elle ressemble à de nombreuses autres pièces : un homme, seul sur scène, parle de sa vie. Il va et vient sans se presser dans sa chambre d'étudiant. Lenteur, répétitivité des gestes quotidiens. Coups de téléphone avec son père, sa soeur. Incompréhension, tensions familiales. Grisaille, désespoir larvé.Plus tard, au fil du monologue, quelque chose émerge. Surgi exactement de l'intérieur du bonhomme. Une énergie - celle du désespoir, probablement - jaillit, et l'atmosphère sur scène se densifie sous nos yeux. Pour nous, bien calés dans nos fauteuils, l'air devient palpable, nous enveloppe et se met à nous serrer jusqu'au coeur. Surtout que l'homme en scène a du corps. Un corps densifié, lui aussi.Bien plus tard, cet homme sur la scène nous apparaîtra comme un naufragé sur son radeau. Cela fait bientôt deux heures qu'il se bat contre les éléments déchaînés de sa vie. Et voilà qu'il les transforme en couleurs - il y a beaucoup de rouge, soudain -. Il jette les couleurs sur les pans de sa vie auxquels il se heurtait, il se blessait au début de la pièce. Les couleurs, il les lance avec son désespoir transmué en énergie pure. Le naufrage dure un temps infini.Alors nous, spectateurs, devenons l'océan autour du naufragé. Chacun de nous est une vague. Nous portons le radeau, nous portons le naufragé avec notre souffle, nos yeux, nos mains serrées fort sur nos genoux. Tant que nous serons là, le radeau ne coulera pas.Enfin, dans un geste ultime, sacré, l'homme crève la couleur. Orage éclaté au bout des heures lourdes de l'été. Tombera la pluie. Elle sera diluvienne, mais apaisante.Plus tard, peut-être. Bien plus tard.
Hélène Perret

La Danse des Mythes, de et avec Rémy Boiron

Mercredi 23 juillet, je suis allée voir au théâtre des Lucioles le nouveau spectacle de Rémy Boiron "La Danse des Mythes". (Rémy Boiron a joué durant le festival d' Avignon à guichet fermé, tant pour "La Danse des Mythes" que "la Luna Negra").
Entrer dans l'univers de Rémy Boiron accompagné pour l'occasion par les envolées musicales de David Cabiac, c'est passer la porte d'un monde de poésie, d'humour et d'émotions. Un vrai plaisir des mots, une écriture qui nous entraîne dans une danse nous poussant au questionnement sur notre terre, notre vie, nos choix d'humanité. Rémy Boiron est à la fois comédien, danseur, mîme. Entrer dans son univers, c'est rencontrer un magnifique comédien à la palette tout aussi étendue qu'un grand peintre. Allez le voir parce qu'il vous donne et se donne, écoutez cet auteur et vivez avec lui une véritable aventure théâtrale.

Le 20 septembre, à 20h30, Rémy Boiron sera à la Closerie à Etais La Sauvin dans "Récits de Femmes ", d'après Dario Fo et Franca Rame.
Réservations : 03 86 47 28 16. Tarifs : 15 €, et 12 € (groupes)

Laurence Navarro

vendredi 1 août 2008

Avignon. Pendant le Festival


Affichage non-stop dans la ville. Le Festival Off explose. Cette année : 957 spectacles, contre 930 en 2007...

Arrivée à Avignon


Réunis sur la terrasse de l'hôtel, à l'ombre des mûriers,nous retrouvons Anne qui nous communique le programme qu'elle nous a peaufiné .
Nous voilà partis pour trois journées de théâtre, de déambulations dans Avignon, et d'échanges à bâtons rompus sur les spectacles vus par le groupe.

Départ pour Avignon


Photos "de famille", à la gare de Laroche-Migennes, devant le TGV...
Dans trois heures, nous serons à Avignon.

mardi 29 juillet 2008

Conversation


« Le théâtre, tel que je le conçois, est un apparat qui serait capable de réveiller le regard du spectateur. Nous avons besoin de partager ce regard, c’est une nécessité. Il ne s’agit pas d’une simple curiosité, de ce regard plat de la communication, fixe, monotone, comme une caméra de surveillance, sans aucun champ de tensions. Le regard du théâtre, que nous pouvons partager devant un spectacle, est au contraire hypnotique, il bouge, il est capable de se déplacer et de « former » les choses qu’il voit. Mais cela n’est possible que grâce à la communion des spectateurs. Un théâtre pour un seul spectateur est impossible, ce serait une contradiction mortelle.
Ce regard est celui du corps, il est très physique : il fonctionne comme un pore de la peau, par où passent les humeurs, les émotions, les sensations et aussi la connaissance. Les Grecs appelaient cela
epopteia, le regard d’Eleusis, qui est une forme d’engagement : il crée la forme qu’il considère, il est chargé de la plus grande puissance possible. Il faut donc repasser par cette force originelle du regard, ce qui implique de faire confiance au spectateur, de lui confier la puissance de créer lui-même par son regard le spectacle qu’il voit. Et cette puissance d’engendrement est donnée à tout le monde. »
Roméo Castellucci dans Conversation , P.O.L, mai 2008, p.27


Je lis ce texte au retour du Festival d’Avignon et il éclaire, me semble-t-il, de nombreuses conversations échangées au sortir des spectacles que nous avons vus.

Il y a parfois des spectacles qui ne font pas confiance au spectateur et lui montrent ce qu’il doit voir et surtout ce qu’il doit penser : Giordano Bruno dans la mise en scène de Daniel Paris me semble faire partie de ceux-là : tout est représenté et nous n’avons aucun espace pour penser autrement que ce qui est montré. Théâtre informatif et représentatif, nous n’apprenons rien de nouveau. La cause est définitivement entendue depuis des siècles, preuve en est la déclaration du cardinal Poupard en février 2002: «La condamnation pour hérésie de Bruno, indépendamment du jugement qu'on veuille porter sur la peine capitale qui lui fut imposée, se présente comme pleinement motivée.", mais celle du metteur en scène l'est tout autant même si elle lui est opposée . Je m’ennuie et mon esprit s’évade aux terrasses de cafés ensoleillées…Pourtant le personnage était intéressant, son histoire édifiante et les acteurs ne jouaient pas si mal !
À l’extrême opposé il y a Seuls de Wajdi Mouawad. Au commencement du spectacle, l’histoire s’installe et seuls les objets semblent lui résister : le téléphone sonne lorsque sa prise est débranchée, mais impossible de communiquer lorsque l’appareil semble fonctionner ; les murs restent blancs ou se couvrent d’une toile cirée infâme et pourtant auparavant Harwan savait les couleurs, celle de l’enfance probablement. Très vite nous sommes entraînés ailleurs : la neige de l’exil qui enferme, la quête improbable de la conclusion de sa thèse qui porte justement sur le cadre et l’espace dans le théâtre de Robert Lepage, le dialogue impossible avec le père avec qui il n’a plus de langue commune, la guerre… Comment être dans un monde dont on n’est pas ? Comment retourner au Père lorsqu’on a dilapidé sa part d’héritage ? Et puis dans une déflagration tout bascule : réellement mutilé de tous les siens, surgit alors la soif de l’autre et la transparence s’anime d’un jaillissement de couleurs, et le théâtre se transforme en performance artistique et nos esprit aiguisés jusqu’à l’extrême de peur de ne pas comprendre, s’apaisent enfin, dans la contemplation du geste et du don généreux, de l’engagement de l’artiste. Wajdi Mouhawad nous fait confiance et la ferveur des applaudissements le lui rend bien : même si nous n’avons pas tout compris – si compris veut dire être capable d’épuiser la pluralité des sens, nous avons créé Seuls avec lui et ce fut un grand moment de théâtre.
Françoise Cousin

Oncle Vania à la campagne


Oncle Vania, scènes de la vie à la campagne de Tchekhov, vraiment dans les champs, avec le souffle du vent qui emporte les voix et les voiles (rafales à 85 km heures ce soir-là), le coucher du soleil, l’aboiement du chien et les bottes de paille… un théâtre sans limites où l’espace scénique n’est plus contenu par les pendrillons, le coté cour et le côté jardin : le théâtre de l’Unité invitait nos regards à la liberté Lundi 21 juillet à Villeneuve lez Avignon… Que font ses moujiks là-bas, derrière les arbres ? Que se disent Oncle Vania et le docteur Astrov à l’autre bout du pré, nous avons même du mal à les reconnaître dans la pénombre du soir qui tombe. Et ces quatre autres à la table, sur le côté ? Une scène démultipliée, plurielle où l’on regarde où bon nous semble Oncle Vania tenter de vivre et d’aimer dans ce monde finissant.
D’abord une balade dans la campagne pour arriver jusque qu’au « théâtre ». Chacun des comédiens nous a donné sa version de la pièce après que nous ayons partagé le pain et le sel : le moins que l’on puisse dire c’est qu’il ne sont pas tous d’accord ! Si nous tentons d’échapper au premier de peur d’être mal placé, c’est nous qui quémandons les dernières versions : les bougres ont commencé de nous apprivoiser.
85 Km heures, les rafales, un monde fou pour « la dernière », et Tchekhov en plein air « tout cela n’est-il pas un peu crétin ? » comme le suggère le personnage hybride qui nous installe mi-ouvreuse, mi-actrice, semblant dire tout haut ce que chacun d’entre nous n’ose même pas penser,tout en nous demandant sans cesse de nous serrer les uns contre les autres, ce qui finalement n’est pas si désagréable car le vent est vraiment froid.
Devant l’espace de la représentation, une étrange machine : deux filins d’acier et une manivelle où de temps en temps ce même personnage affichera une pensée qui pourrait nous traverser l’esprit, multipliant encore les points de vue et déchirant pour un instant l’illusion théâtrale par d’étranges SMS : « C’est encore long ? » (Le petit Paul assis au troisième rang ), « Tiens il y avait des nègres en Russie à cette époque ? »
Grâce à tout ce dispositif scénique les drapeaux de la révolution russe peuvent surgir, le spectre de N…., virevolter sous le tulle, , la prairie s’embraser, Oncle Vania redevenir enfant et les morts ressusciter. Comme l’espace, le temps est démultiplié et s’inscrit tout entier dans le présent de la représentation.
Et s’adresse à nous un autre personnage lui aussi venu d’ailleurs, Olga Knipper , la femme de Tchékhov. Elle nous parle de lui, du théâtre qu’il aimait, de sa certitude de n’écrire rien qui ne soit oublié avant que lui-même ne disparaisse. « Stanislavski vous connaissez ? Non ? Ce n’est pas grave… Mon écrivain à moi, lui…. »
Les personnages courent, hurlent, désirent , souffrent et surtout s’ennuient : le théâtre de Tchekhov est là tout entier et nous ne nous ennuyons pas un instant. Les comédiens du Théâtre de l’unité et la mise en scène de Jacques Livchine lui donne un souffle nouveau qui nous enchante par sa générosité. Non, monsieur Tchekhov, vous n’aviez rien à craindre et même si tout un siècle nous sépare désormais, votre théâtre est bien vivant et nous parle de nous.

Françoise Cousin