mardi 29 juillet 2008

Oncle Vania à la campagne


Oncle Vania, scènes de la vie à la campagne de Tchekhov, vraiment dans les champs, avec le souffle du vent qui emporte les voix et les voiles (rafales à 85 km heures ce soir-là), le coucher du soleil, l’aboiement du chien et les bottes de paille… un théâtre sans limites où l’espace scénique n’est plus contenu par les pendrillons, le coté cour et le côté jardin : le théâtre de l’Unité invitait nos regards à la liberté Lundi 21 juillet à Villeneuve lez Avignon… Que font ses moujiks là-bas, derrière les arbres ? Que se disent Oncle Vania et le docteur Astrov à l’autre bout du pré, nous avons même du mal à les reconnaître dans la pénombre du soir qui tombe. Et ces quatre autres à la table, sur le côté ? Une scène démultipliée, plurielle où l’on regarde où bon nous semble Oncle Vania tenter de vivre et d’aimer dans ce monde finissant.
D’abord une balade dans la campagne pour arriver jusque qu’au « théâtre ». Chacun des comédiens nous a donné sa version de la pièce après que nous ayons partagé le pain et le sel : le moins que l’on puisse dire c’est qu’il ne sont pas tous d’accord ! Si nous tentons d’échapper au premier de peur d’être mal placé, c’est nous qui quémandons les dernières versions : les bougres ont commencé de nous apprivoiser.
85 Km heures, les rafales, un monde fou pour « la dernière », et Tchekhov en plein air « tout cela n’est-il pas un peu crétin ? » comme le suggère le personnage hybride qui nous installe mi-ouvreuse, mi-actrice, semblant dire tout haut ce que chacun d’entre nous n’ose même pas penser,tout en nous demandant sans cesse de nous serrer les uns contre les autres, ce qui finalement n’est pas si désagréable car le vent est vraiment froid.
Devant l’espace de la représentation, une étrange machine : deux filins d’acier et une manivelle où de temps en temps ce même personnage affichera une pensée qui pourrait nous traverser l’esprit, multipliant encore les points de vue et déchirant pour un instant l’illusion théâtrale par d’étranges SMS : « C’est encore long ? » (Le petit Paul assis au troisième rang ), « Tiens il y avait des nègres en Russie à cette époque ? »
Grâce à tout ce dispositif scénique les drapeaux de la révolution russe peuvent surgir, le spectre de N…., virevolter sous le tulle, , la prairie s’embraser, Oncle Vania redevenir enfant et les morts ressusciter. Comme l’espace, le temps est démultiplié et s’inscrit tout entier dans le présent de la représentation.
Et s’adresse à nous un autre personnage lui aussi venu d’ailleurs, Olga Knipper , la femme de Tchékhov. Elle nous parle de lui, du théâtre qu’il aimait, de sa certitude de n’écrire rien qui ne soit oublié avant que lui-même ne disparaisse. « Stanislavski vous connaissez ? Non ? Ce n’est pas grave… Mon écrivain à moi, lui…. »
Les personnages courent, hurlent, désirent , souffrent et surtout s’ennuient : le théâtre de Tchekhov est là tout entier et nous ne nous ennuyons pas un instant. Les comédiens du Théâtre de l’unité et la mise en scène de Jacques Livchine lui donne un souffle nouveau qui nous enchante par sa générosité. Non, monsieur Tchekhov, vous n’aviez rien à craindre et même si tout un siècle nous sépare désormais, votre théâtre est bien vivant et nous parle de nous.

Françoise Cousin

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